#13_ Être une femme libre aujourd’hui : qu’est-ce qui nous en empêche ?
Chère femme,
A l’heure des bilans de fin d’année, dans l’effervescence des fêtes que tu es peut-être heureuse ou non de célébrer, comment te sens-tu ?
Je ressens pour ma part une grande fatigue et en même temps une énergie incroyable. Beaucoup de choses bougent dans ma vie personnelle et professionnelle. Dans la lenteur que ces derniers jours de décembre invitent dans nos quotidiens, vient le temps pour moi de te partager mes réflexions sur un sujet qui m’est cher.
Un sujet qui attend d’éclore depuis plusieurs mois.
Mon cœur bat la chamade, j’ai l’impression d’un accouchement en direct. Tu es prête à cheminer avec moi ?
Je ne te cacherai pas que cette lettre m’a pris des heures d’écriture, de relecture, de rature tant le sujet est personnel et intime tout en revêtant un caractère collectif et éminemment politique.
Une seule lettre ne suffira pas 😅
Voici donc le 1er épisode de mes tribulations intérieures…
Temps de lecture : 5 min
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Le positionnement de Mademoiselle Souffle évolue, devrais-je dire s’affirme.
MS devient un espace de coaching au féminin. Quoi de nouveau me diras-tu ? Il est monnaie courante aujourd’hui de trouver des coachs qui n’accompagnent que des femmes. Pour celles qui me connaissent, vous savez que j’ai toujours été animée de valeurs profondes de solidarité et d’humanisme. Dans mes vies professionnelles antérieures, j’ai travaillé auprès de publics fragiles : les enfants placés à l’Aide sociale à l’enfance, les sans abri, les migrants…
Sans que la question du genre ne se pose pour moi.
Quand j’ai choisi de devenir coach professionnelle, je ne pensais donc pas me spécialiser auprès des femmes. Faire ce choix émane de plusieurs dizaines d’heures de coaching avec mes client.e.s.
Car une problématique revenait à chaque fois dans leur histoire, sous des formes diverses, une question que je pourrais résumer ainsi :
comment devenir une femme libre et sereine aujourd’hui ?
Libre de ses choix, libre de ses pensées, libre de se comporter comme elle le souhaite. D’être mère ou non. De travailler beaucoup ou non. De vivre en pleine nature ou non. De réaliser ce projet de cœur. Libre de choisir pour soi, indépendamment de l’avis de ses proches.
Sans culpabilité.
Sans peur d’être rejetée ou bien jugée.
Libre d’exister telle qu’elle est. Ni plus ni moins.
NB : je parle ici de femme entendue comme toute personne qui se reconnait femme, qu’elle soit cis, trans genre pour ne citer qu’elles. Quelque que soit son âge, sa couleur de peau, sa classe sociale, sa religion, son appartenance sexuelle…
Il était devenu évident qu’explorer le sujet d’être une femme aujourd’hui se logeait au coeur de mes coachings tant il est universel.
Et si c’était cette voie qui correspondait à la mission de Mademoiselle Souffle ?
Aider les femmes épuisées de chercher à cocher toutes les cases, à redevenir libres d’être elles-mêmes…
L’enjeu est énorme !
Une autre question me taraudait : faire ce choix professionnel (d’accompagner que des femmes) m’engageait-il sur la voix du féminisme ?
Et étais-je légitime à la suivre ?
A côté de mes tribulations intellectuelles, le sujet me touchait aussi personnellement depuis mon enfance.
Je t’explique pourquoi.
🌻 Féministe or no féministe ?
L’idée de définir mon entreprise, de me définir comme féministe me semblait vertigineuse.
Lorsque je lis ou écoute des féministes, le sujet qui revient au-delà de la défense de l’égalité des droits des femmes, c’est la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.
Violences qui s’exacerbent dès qu’on est une femme racisée et/ou répondant à un autre modèle de sexualité que l’hétérosexualité et/ou vivant dans des conditions précaires.
- Je suis une femme cisgenre blanche hétéro privilégiée… de quoi je me plains ?
Et en quoi cette thématique réside au cœur des préoccupations de mes clientes ?
- Je ne suis pas une spécialiste. Entends théoricienne avertie sur les multiples courants idéologiques sur la question ou militante qui dresse ses étendards de lutte dans le débat public.
Je ne me reconnais d’ailleurs pas toujours dans les différents mouvements de pensée féministes, notamment ceux qui voudraient rendre tous les hommes uniques responsables de nos souffrances et qui en profitent pour rejeter d’un revers de main l’image de la femme « douce sensible et gentille » car elle serait réductrice et culpabilisante. Pas assez féministe du coup.
Alors suis-je féministe ou non ?
Définition rapide que Bell Hooks donne au féminisme : « un mouvement qui vise à mettre fin au sexisme, à l’exploitation et à l’oppression sexistes » (je te recommande 1000 fois son livre Tout le monde peut être féministe qui pose avec simplicité les enjeux actuels loin de tout jargon idéologique).
Je ne te ferai pas un cours sur le féminisme mais si tu as envie d’aller plus loin, je te propose en fin de lettre quelques lectures qui ont éclairé ma pensée.
Oui je suis féministe. De par mon histoire. De par mes valeurs. Je l’ai toujours été sans oser l’affirmer.
Je me souviens de mon meilleur ami à la face qui me disait lors de nos débats : « Julie, tu es féministe ». Je le vivais comme un gros mot à l’époque. Pourquoi ?
Avec du recul, je pense que je ne voulais pas reconnaitre que j’étais moi-même victime de sexisme au quotidien et depuis mon plus jeune âge. Ce qui incluait que je n’étais finalement pas reconnue comme l’égale des hommes. Ni ma mère, mes grands-mères, ma sœur, mes amies et toutes les autres femmes… Aïe le bas blesse.
J’ai pourtant toujours su que mes droits étaient fragiles parce que j’étais une femme.
⚠️ Si je suis féministe en tant que Julie la femme et que mes convictions soutendent la mission de Mademoiselle Souffle, il va de soi qu’en tant que coach professionnelle, je n’aborde pas avec mes clientes pendant leurs séances, mes idées ou ma vision du monde.
Je rappelle ici que l’espace du coaching est un espace de non jugement.
🌻 Injonctions en veux-tu, injonctions en voilà !
🙈 Sois sage et tais-toi…
Comme les femmes de ma famille et mes amies et les amies de mes amies etc, j’ai été élevée avec l’injonction d’être une petite fille sage.
« Tu es une fille, sois gentille. Tu dois prendre soin des autres, ne sois pas égoïste. Si tu pleures, c’est parce que tu es triste pour iel , pas pour toi. »
Ça te parle ?
En opposition à ce qu’on a pu transmettre aux garçons de mon âge : « Tu es un garçon, ne pleure pas. Un garçon ne pleure pas. Tu es fort. »
Cliché ?
Je suis née dans les années 80 et on a été éduqué selon ce modèle.
Avec l’idée derrière d’être obéissante face à l’autorité.
Selon les règles de notre modèle de société dit patriarcal. Ouille j’ai prononcé le mot. Patriarcal. Qu’est-ce que ça veut dire ?
C’est un modèle basée sur l’autorité du père. Comme s’il y avait une supériorité du père sur les autres membres, dont la mère. Un modèle qui ne reconnait pas les émotions, où la vulnérabilité s’assimile à de la faiblesse. Où la peur du plus fort sur les plus faibles se loge partout. Où l’individu a peu voire pas de place pour exister tel qu’iel est dans sa propre singularité. Où on doit être le meilleur. Réussir comme ou mieux que nos parents. Un modèle basé sur un duo autorité/obéissance qui est devenu au fil des années pouvoir/soumission.
Prendre soin des autres, être empathique, dévouée… sacrificielle ?
J’ai suivi le modèle jusqu’à l’adolescence où j’ai rejeté la partie « bonne mère de famille ». L’injonction de la petite fille sage qui devenait la femme parfaite.
Entends bonne ménagère, bonne nourricière, sacrificielle à souhait. Un mélange entre nos grands-mères et certaines de nos mères. La mienne en tout cas. Une femme que j’admire énormément. Elle gérait tout à la maison (totalement lessivée) alors qu’elle travaillait.
C’est ainsi que par exemple, cuisiner représentait pour moi il y a encore peu un acte de soumission.
Je me suis construite en opposition à l’image de la femme qui serait « douce ». Ça t’étonne hein ? Gentille et sage, je les avais déjà engrammé sous ma peau. Mais à douce j’ai préféré forte. Quitte à m’oublier, autant m’armer pour faire face…
🔥 Sois indépendante et travaille dur !
Et je me suis promis que mon émancipation passerait par le travail. Ma valeur viendrait du travail. Comme une condition sine que non à ma survie : c’est grâce à ma réussite professionnelle que je serais reconnue et indépendante. Ne surtout pas envisager de compter sur qui que soit d’autre.
Working girl. Indépendante je serais, femme à droits égaux je serai reconnue.
J’ai intégré tôt le principe que je devais me construire comme un homme. Faire de grandes études, avoir un bon job et faire ce que je veux. Sans doute que fonder une famille deviendrait un sujet plus tard (pour l’heure je n’avais pas une once de maternité).
En me comportant comme un mec, je me suis d’ailleurs sentie longtemps différente des autres femmes. Comparaison, incompréhension. Les autres femmes dont je ne comprenais pas les choix lorsqu’elles reproduisaient un modèle de femme qui a la charge mentale à 80%.
Etais-je devenue une caricature de la femme moderne?
Ce modèle de la working girl est-il le seul modèle d’émancipation possible …?
Ok, si je ne signe pas pour être cette femme sacrificielle dans son foyer, je vais signer pour être sacrificielle dans mon travail. Travailler dur pour réussir socialement à tout prix (ce qu’Annie Ernaux décrit comme « transfuge de classe ») et trouver ma place.
Etre une femme indépendante pour être libre?
Je ne me suis jamais sentie à ma place mais je me disais que le problème venait de moi. Je ne savais pas faire. Accepter sans sourciller les blagues sexistes de mes responsables vieillissants. Travailler tout le temps quelle que soit mon énergie. Mettre de côté mes émotions pour prendre des décisions, souvent délicates. Suivre des codes qui m’étaient étrangers : compétition, performance, productivité.
… ou au contraire une prison dorée dont il peut être douloureux de s’extirper?
J’ai continué.
Je suis devenue mère.
J’ai continué.
Je suis devenue une deuxième fois mère. Et tout a explosé.
Ce modèle de working girl qui court tout le temps, qui veut vivre comme un homme, qui a tout miser sur son travail pour exister, qui veut aussi devenir maman et si possible le faire correctement.
Ce modèle m’était devenu insoutenable.
J’ai essayé de composer avec toutes mes contradictions jusqu’à ce que je devienne mère. Il fallait assumer désormais de ne pas savoir camper le rôle de la mère-veilleuse au foyer. Être débordée par la charge mentale du quotidien tout en gérant un job qui me prenait 50h minimum par semaine… Pourtant, j’étais très soutenue par mon compagnon, qui assurait beaucoup dans le quotidien et avec mes enfants. Double sentiment d’inutilité et de faillibilité.
Je culpabilisais sans arrêt.
J’avais l’impression de ne pas savoir honorer les femmes de ma famille et ne pas être à la hauteur non plus dans le monde des hommes qui peuvent tout.
🌻Quelle autre voie possible ?
Quid des femmes qui voudraient être épanouies au travail sans travailler 50h et pouvoir s’occuper de leurs enfants ? ou à l’inverse celles qui travaillent beaucoup parce qu’elles adorent ça mais qui culpabilisent de ne pas être assez présentes pour leurs enfants ?
Celles qui gèrent tout à la maison et qui ont l’impression qu’elles vont exploser ? Celles qui subissent les réflexions sexistes de certains de leurs collègues (masculins et parfois féminines) si elles choisissent de partir à 17h pour aller chercher leurs enfants à l’école ?
Si on mettait les débats idéologiques de côté pour juste se placer du côté de celles qui se demandent chaque jour où est leur place ? Parce qu’elles sont femmes et que cela suffit à les plonger dans une quête d’un idéal inatteignable. Celle de la femme qui aurait tout, qui saurait tout concilier.
Et qui ne se sent jamais à la hauteur.
C’est cet endroit-là qui m’intéresse aujourd’hui en tant que coach….
J’espère que cette lettre a trouvé écho en toi ou du moins a suscité une petite étincelle. Un grand merci de m’avoir lue jusqu’au bout 😉
La prochaine fois, je te parlerai de colère et de désobéissance douce.
Mais avant de laisser la plume, je serais très intéressée de savoir comment Toi, tu vis ta situation de femme aujourd’hui ?
Je réponds à tous mes messages, alors n’hésite pas à venir échanger avec moi, je serai ravie de te lire 😊
Chaleureusement,
Julie
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